À l’automne -331, Alexandre le Grand entre en Égypte. Il n’y vient pas en conquérant brutal, mais en libérateur. Depuis près de deux siècles, l’Égypte est sous domination perse, et le jeune roi macédonien, tout juste victorieux de Darius III à Issos, y est accueilli comme un sauveur. Il est reconnu comme pharaon d’Égypte et décide de fonder une nouvelle capitale à son image : cosmopolite et tournée vers la mer.
Un rêve tracé à la farine
Selon Plutarque, l’idée d’Alexandrie surgit dans un rêve : Homère apparaît à Alexandre et lui parle de l’île de Pharos. À son réveil, le roi se rend sur place. Conquis par la configuration des lieux, il trace les contours de la ville directement sur le sol… avec de la farine, faute de matériaux disponibles, comme le confirment Strabon et Arrien. Le présage est jugé favorable par les devins : les oiseaux venus dévorer la farine sont le signe que la cité nourrira abondamment ses habitants… et bien d’autres encore.
Un terrain austère, mais stratégique
Le site semble peu accueillant : marécages, brigandage, navigation difficile. Pourtant, il recèle de nombreux atouts : une île proche pour ancrer la ville (comme le veulent les fondations grecques), un sol rocheux, à l’abri des crues du Nil, une façade maritime parfaite pour le commerce, et surtout… une position idéale entre Europe, Afrique et Asie, au croisement des routes commerciales de l’antiquité.
Une ville pensée comme un idéal
Alexandre, guidé par les enseignements de son ancien précepteur Aristote, suit le modèle de la cité idéale : une ville aux rues orthogonales, ouvertes à la mer, ventilées par les vents du nord, structurées en quartiers égaux et hiérarchisés. La ville adopte un plan en damier : deux axes principaux de plus de 30 mètres de large, des îlots réguliers, des ports aménagés, une connexion (l’Heptastade) entre Pharos et le continent. Enfin, un canal, dit de Canope, relie Alexandrie au Nil pour l’alimenter en eau douce. Les archéologues estiment que la ville à sa fondation s’étendait sur 5 à 7 kilomètres de long, pour 1 à 2 kilomètres de large. En quelques années, Alexandrie devient la porte d’entrée de l’Égypte et la plaque tournante des échanges entre Méditerranée, Afrique et Orient.
Une ville, plusieurs mondes
Alexandrie devient une cité-monde avant l’heure : Grecs, Égyptiens, Juifs, Phéniciens y cohabitent. Les langues s’y croisent, les dieux s’y partagent les autels, les cultures s’y fondent. On y pense, on y traduit, on y échange.
Le savoir y est roi. Euclide y fonde la géométrie, Ératosthène y mesure la Terre, les textes des anciens y sont traduits et conservés. La ville devient l’un des plus puissants centres intellectuels de l’histoire antique.
Un héritage durable
Des dizaines d’Alexandrie ont été fondées par le roi macédonien, mais une seule a laissé une trace aussi profonde. Alexandria ad Aegyptum, « en marge de l’Égypte », comme disaient les Anciens, car elle se tenait déjà à la croisée des mondes.
Aujourd’hui, la ville moderne d’Alexandrie porte encore ce legs : cosmopolite, cultivée, vivante. Et si ses monuments antiques sont pour la plupart enfouis ou disparus, le rêve d’Alexandre, lui, est toujours là.
